Rosa Pires est née à Montréal de parents d’origine portugaise. Enfant, elle a fréquenté l’école en français. Plus tard, elle a travaillé comme attachée politique au Parti québécois, a milité au sein du comité du Oui, lors du référendum de 1995, a oeuvré dans un regroupement féministe. Elle a aussi été candidate pour le parti Québec solidaire, dont elle est toujours membre aujourd’hui.
Pourtant, sa fille de 17 ans, qui est donc une immigrante de troisième génération, « racisée » parce que fille d’un Mozambicain, fréquente une école publique de Rosemont et hésite à se dire « Québécoise ». En fait, Rosa Pires considère que le Québec est moins ouvert envers les personnes issues de la deuxième génération d’immigrants.
Dans son livre Ne sommes-nous pas Québécoises ?, qui paraît ces jours-ci aux Éditions du Remue-Ménage, elle explore le sentiment d’exclusion vécu par des femmes de la deuxième génération issue de l’immigration, non seulement dans le mouvement nationaliste québécois, mais aussi dans le mouvement féministe.
Son livre, issu d’un mémoire de maîtrise présenté à l’UQAM, combine son expérience et ses réflexions personnelles à celles recueillies auprès de dix femmes québécoises de la deuxième génération d’immigrantes, toutes francophones, éduquées et engagées socialement, et appartenant à ce qu’on appelle une minorité visible.
« Je voulais valider avec elles les expériences terrain que j’avais vécues », dit-elle. Ces femmes ont d’abord été interrogées de façon anonyme dans le cadre du mémoire de maîtrise de Rosa Pires. Dans le livre qui en a résulté, des noms fictifs ont été utilisés, ce qui témoigne du malaise envers l’immigration que l’auteure tente justement de cerner.
« Toutes les filles que j’ai interrogées reçoivent des courriels de haine parce qu’elles critiquent le Québec et ce nationalisme identitaire. C’est parfois très direct, on leur dit de rentrer chez elles. »
Pour Rosa Pires, c’est le « nationalisme identitaire », qui a fait surface depuis le dernier référendum, qui est la cause du sentiment d’exclusion des personnes issues de la deuxième génération d’immigration. Il s’incarne notamment dans des projets de loi comme la charte des valeurs lancée par le Parti québécois en 2013 et dans le projet de loi 21 sur la laïcité du gouvernement Legault. C’est une forme de nationalisme que Rosa Pires n’observait pas avant, et même pendant la campagne référendaire de 1995. « Le mouvement référendaire lui-même était porteur de quelque chose de complètement différent, que je ne reconnais plus. Et j’ai mal au coeur », dit-elle.
Pour elle, le nationalisme identitaire a peu à peu supplanté le nationalisme civique dans l’espace public québécois.
« Il y a des gens qui en avaient marre du nationalisme civique et de l’interculturalisme, et qui voulaient trouver une oreille dans la population », relève-t-elle.
Toutes les filles que j’ai interrogées reçoivent des courriels de haine parce qu’elles critiquent le Québec et ce nationalisme identitaire. C’est parfois très direct, on leur dit de rentrer chez elles.
Ce mouvement, qu’elle associe à la droite, fait partie d’un courant mondial et le Québec n’en est pas exempt. « Ça n’est pas propre au Québec, le Québec n’est pas en dehors du globe terrestre. Mais on a le droit de critiquer le Québec. Je suis aussi Québécoise que n’importe qui. »
Les femmes qu’elle a interrogées font par ailleurs état d’une détérioration des conditions de vie des femmes membres des minorités visibles. Parallèlement à cette critique du mouvement nationaliste québécois, Rosa Pires s’attaque également à ce tabou encore plus fort de la sociétéquébécoise qu’est l’expérience du racisme au sein du mouvement féministe québécois. « Ce racisme, avance Mme Pires, va au-delà des clivages entre féministes au sujet de la légitimité pour les musulmanes de porter le voile dans l’espace public. »
« Des collègues féministes racisées qui ont vécu des expériences d’exclusion dans le mouvement féministe, j’en remplis une table. Dans le quotidien des regroupements féministes, les rapports de pouvoir sont inégaux. Les féministes racisées sont quasi absentes, ou alors elles travaillent dans les services réservés à l’immigration », ajoute-t-elle, avant de dire qu’« on se sert du féminisme pour exclure d’autres femmes ».
Or, la réalité des femmes racisées, comme celle des femmes autochtones, est différente.
Deux femmes que Rosa Pires a interrogées dans le cadre de son enquête disent recevoir peu d’écoute lorsqu’elles parlent aux féministes « de la majorité » des problèmes qu’elles vivent face aux « normes sociales instituées en fonction des femmes blanches ». « Elles ramènent ça sur le plan personnel […] et ne feront pas l’exercice de se mettre dans nos souliers », disent-elles.
Au sujet des débats faisant rage autour du projet de loi 21, et, entre autres, de la présence de femmes voilées dans la fonction publique, Rosa Pires s’emballe : « Ce n’est pas compliqué, pourquoi est-ce qu’on veut homogénéiser un symbole ? À travers la planète, les symboles et les identités sont mouvants et prennent des significations différentes selon l’endroit où l’on est. C’est ça, la question de fond. Être Noir aux États-Unis, ça n’est pas comme être Noir au Brésil ou être Noir au Québec. »
Pour l’auteure, l’un des principaux défis pour le féminisme québécois est de chercher la solidarité plutôt que l’unanimité. Car, selon elle, il est possible de trouver un « nous » dans la différence. Et c’est cette volonté de le trouver, de le créer, qui s’est perdue, dit-elle.
Pourtant, certaines femmes interrogées dans son livre en doutent. « J’ai longtemps cru et j’ai longtemps revendiqué les Nous et je voulais faire partie de ce Nous. Mais à un moment donné la réalité te rattrape. Le Nous ne veut pas de toi », dit l’une d’elles.
À l’école de la fille de Rosa Pires, où de 80 à 90 % des élèves sont racisés, « le rejet du Québec est phénoménal », dit la chercheuse. « Il se passe quelque chose depuis longtemps. On ne peut pas juste dire que tout va bien. L’accueil, ça ne peut pas aller juste dans un sens », déplore-t-elle.