Lors de son introduction à l’atelier « Repenser le nationalisme et raviver l’internationalisme », Pierre Beaudet indiquait qu’on n’a pas vu suffisamment le projet d’indépendance lié avec le projet anticapitaliste et que les autochtones n’y occupaient pas beaucoup de place. Il cernait ainsi les éléments essentiels qui font que les politiques souverainistes, telles que mises de l’avant depuis les années ’70 par le courant péquiste, ont lamentablement échoué.
Mais ce constat étant fait, l’indépendance du Québec constitue toujours un enjeu plein de questions surtout à l’heure où le nationalisme prend des couleurs d’exclusion.
Pour Catherine Dorion (1), l’indépendance c’est aussi un projet de lutte, pour le climat, pour le territoire. « C’est » reformuler la société avec les luttes de libérations des autres peuples dans le monde, c’est aussi notre passé de lutte culturel. Pour elle la somme des projets qu’on fait ensemble, c’est ce qui fait évoluer notre identité : « Alors que le projet identitaire de la droite mise sur la division, on doit développer un projet antiraciste et inclusif pour réussir à développer une force collective. La vraie laïcité c’est la lutte contre le pouvoir de l’argent et pour la démocratie ».
Mais sa conception de la lutte pour l’indépendance se basait surtout sur la culture et la lutte anticoloniale. La perspective internationaliste et particulièrement la dynamique des luttes avec le reste du Canada étaient à toutes fins pratiques absentes. À la question de Pierre Beaudet : « Qu’est-ce qu’on fait avec les canadiens ? » elle s’est limitée à répondre qu’on aura la même posture qu’avec les peuples des autres pays, c’est-à-dire développer des liens de solidarité, sans plus de perspectives. En fait l’indépendance est présentée comme une finalité. Même si Catherine l’associe à la lutte climatique, on ne sent nulle part quelle articulation cette lutte peut avoir avec les progressistes du Reste du Canada ni avec les nations autochtones.
Elle définit la lutte du Québec contre l’État pétrolier (Cacouna, Énergie est), mais n’explique pas comment l’indépendance arrivera à créer un État sans pétrole ni comment nous résisteront aux offensives de l’État canadien. Elle se limite à dire que ce qui se passe dans le Canada c’est grâce, en partie, à l’argent du Québec. Donc on rapatrie notre argent, de même que celui des paradis fiscaux, mais sans expliquer qu’un plan de mobilisation est essentiel pour y arriver.
Intervention de Catherine Dorion
Makian Sondariee (2) a développé plus en profondeur l’importance de la solidarité internationale, particulièrement en termes de lutte contre la domination du nord sur les populations du sud. Pour elle l’ennemi est le système mondialisé qui permet l’exploitation des terres. Elle comprend que le nationalisme relève d’un sentiment d’injustice, qui peut déboucher sur une unité politique et nationale et qu’il peut être vu comme un moyen de s’émanciper du système capitaliste. Mais selon elle, rien ne garantit que ce sera le cas, l’indépendance pourrait très bien mener à un gouvernement néolibéral ou conservateur. S’ils réalisent l’indépendance, la droite et la frange du PQ vont gérer de façon néolibérale.
Makian défend ainsi l’idée que dans un internationalisme solidaire on ne doit pas hiérarchiser le national avant l’International. Il faut développer une intersection des luttes de solidarité nord sud pas seulement dans une nation mais de manière structurelle pour redéfinir radicalement les relations de pouvoir. Cela comprend la lutte contre l’accaparement des terres, la délocalisation des autochtones du sud, les luttes des femmes autochtones contre l’extractivisme. Reprendre du pouvoir au niveau national signifie dépasser cette situation, c’est annuler les dettes des pays du sud, recentrer la société pour comprendre dans une perspective féministe le travail des femmes du sud. Cette perspective ne passera pas nécessairement par le nationalisme. On se doit de penser un projet pour contrer la droite.
Mais pour contrer la droite il faut comprendre la dynamique des luttes avec le mouvement ouvrier et populaire du Reste du Canada et celle de la lutte de libération nationale au Québec. L’indépendance du Québec est un geste éminemment important et la population ne prendra jamais une telle décision si cela ne représente pas un projet qui changera les conditions de vie, la réappropriation de nos ressources, l’amélioration de nos conditions de travail. Pour qu’un tel projet se réalise il faut la mobilisation d’une population consciente des enjeux et prête à affronter l’adversité des dominants politiques et des financiers.
Penser que le projet d’indépendance du Québec peut être fait par la droite nationaliste et ainsi créer une société néolibérale, c’est ignorer la dynamique de lutte nécessaire pour y arriver. Ce n’est pas pour rien que le PQ a échoué, son projet n’est pas basé sur la création d’un rapport de force populaire contre les dominants. Il a refusé de favoriser ces mobilisations sur lesquelles il devait s’appuyer, au contraire il a systématiquement confronté et désorganisé le mouvement ouvrier. C’est ce qu’il a fait dès les premières heures avec René Lévesque lors les lois spéciales contre le secteur de la santé et de l’éducation en 1983.
La lutte de la population du Québec possède une dynamique spécifique, et un historique distinct. La classe dominante au Québec étant celle de l’État canadien, elle a imposé la langue anglaise dans la vie comme dans le travail en plus de contrôler l’économie. Pour la population majoritairement francophone, le capital a ainsi été associé à quelque-chose d’étranger, imposé par le Canada, réalité symbolisée par la célèbre phrase d’Yvon Deschamps : « Au Québec tu travailles en anglais ou tu chômes en français. » On pourrait parler du Québec inc, mais il est en passe d’être intégré en grande partie aux multinationales sinon aux grandes corporations américaines.
Il ne faut pas faire l’erreur de confondre cette réalité avec le nationalisme identitaire mis de l’avant successivement par l’ADQ, le PQ et la CAQ et laisser ce terrain à la droite. La gauche doit se réapproprier la lutte pour l’indépendance comme moyen de se libérer du carcan capitaliste canadien. La dynamique des luttes ouvrières et populaires dans le Reste du Canada est différente, cependant nous avons des intérêts communs ; le contrôle par la population de notre territoire, de nos vies et de nos ressources.
Cette perspective faisait défaut de part et d’autre, d’un côté une promotion de l’indépendance mais sans perspective articulée pour construire des alliances contre l’impérialisme canadien. De l’autre une perspective de solidarité internationale mais avec une mauvaise compréhension de la dynamique de libération nationale au Québec et de son impact dans le cadre Canadien et international.
Pour réussir, nous devons comprendre les dynamiques différentes afin de conjuguer nos forces provenant de la lutte de libération nationale au Québec, des luttes pour la justice sociale et surtout présentement pour l’environnement dans le reste du Canada et au Québec, et la lutte de résistance et de conservation du territoire de la part des populations autochtones.
Intervention de Makian Sondariee
À cet effet Glen Coulthard (3) a expliqué que, pour les peuples autochtones, le territoire n’est pas une marchandise, c’est une relation. Lorsque les peuples autochtones parlent de leur relation à la terre, nous ne le faisons généralement pas dans un sens d’exclusion. Nos revendications territoriales et nos conceptions de nation ne sont pas fondées sur une compréhension de la terre qui doit être exploitée à l’exclusion des autres. La terre est une relation basée sur les obligations que nous avons envers les autres personnes et les relations avec notre environnement qui constitue la terre elle-même.
Notes
(1) Catherine Dorion est députée de Québec solidaire à l’assemblée nationale et représentante de la circonscription de Taschereau.
(2) Makian Sondariee est candidate au doctorat à l’Université de Toronto et chercheuse affilié au Critical Center for Development Studies. Elle a travaillé avec des ONG en Inde, au Burkina Faso et en Bolivie et elle rédige actuellement un livre pour les Éditions Écosociété intitulé « Manifeste pour un internationalisme solidaire ».
(3) Glen Coulthard est professeur à l’Université de Colombie britannique et a récemment publié « Peau rouge, masques blancs » (Lux)