André Frappier, Presse toi à gauche, 13 août 2019

Dans son dernier essai, “Qui veut la peau du PQ?”, l’ancien chef du PQ s’en prend à bras le corps à QS, qui est selon lui responsable de tous ses malheurs. Ceux et celles qui refusent de s’allier au PQ font donc partie des méchants qui refusent ainsi de battre les libéraux en privilégiant l’intérêt mesquin de leur parti.

Une diatribe qui cible Québec solidaire

Il y a quelque-chose d’insidieux dans cette question qui renvoie à la culpabilité, et qui s’adresse en fait à ceux qui ont pris le terrain qui devait lui appartenir (du haut de quelle autorité ?). Lisée ne s’adresse pas au Parti Libéral et à la CAQ ni aux financiers et aux multinationales et pas vraiment aux fédéralistes ni à l’establishment canadien non plus.

Il a fallu 190 pages avant de trouver quelques lignes où Lisée s’en prend quelque peu au Parti Libéral en dénonçant le scandale des commandites. Si on regarde les choses d’un autre angle et qu’on demandait qui a véritablement à craindre de la croissance de Québec solidaire, je répondrais le monde de la finance, les grandes corporations, les multinationales, ceux qui poursuivent les municipalités pour leur imposer leurs puits pétroliers, les minières qui volent nos richesses et nous laissent leurs déchets, l’État fédéral qui nous embrigade. Pas une seule fois, en aucun moment peut-on percevoir une dénonciation des dominants de cette société ni une volonté de reprendre en main collectivement notre destinée. Dans son scénario des bons et des méchants, le Parti Libéral sert d’épouvantail. Ceux et celles qui refusent de s’allier au PQ font donc partie des méchants qui refusent ainsi de battre les libéraux en privilégiant l’intérêt mesquin de leur parti.

Telle est la ligne centrale de cet ouvrage. Québec solidaire est le point focal, le grand responsable de la montée de la CAQ et dans bonne mesure de la défaite du PQ. Ce scénario comporte l’avantage d’éluder tout bilan politique du PQ et de sa défaite annoncée, depuis plusieurs années déjà. Par voie de conséquences il évite aussi toute analyse de la montée de la CAQ, comme parti alternatif au Parti libéral usé et corrompu mais également comme nouveau représentant du nationalisme identitaire. Ce sont pourtant là les éléments essentiels d’un bilan.

Le livre de Lisée est basé sur des considérations uniquement stratégiques, s’attardant à regarder comment tirer le meilleur parti de la situation politique et à démoniser le parti qu’il considère être son principal adversaire, Québec solidaire.

Lisée sait bien que c’est la CAQ et François Legault qui lui ont ravi cette élection et sait qu’il ne peut éviter complètement cette considération. Mais au lieu d’en faire l’analyse, ce qui l’obligeait à une introspection, il reporte la faute sur QS. Pour lui, la réponse tardive de ce dernier aux possibilités d’alliances électorales auraient permis à Legault d’avoir les coudées franches et de prendre une avance difficile à rattraper.

Ainsi Lisée a choisi un titre où le PQ apparaît comme le centre politique naturel. Il a ainsi admit avoir déployé ses attaques les plus intenses (pour ne pas dire pernicieuses) contre QS au débat de TVA parce qu’il considérait catastrophique de voir QS continuer à monter dans les sondages à son détriment, pour peu il ajouterait au détriment de la cause souverainiste.

Un élan brisé, par qui ?

Dans le chapitre Un Élan brisé, il relate sa victoire à la course au leadership mais omet un élément déterminant, le coup bas porté à son collègue Alexandre Cloutier en l’associant faussement à Adil Sharkaoui. Lisée profitait ainsi du sentiment anti-musulman qui avait été alimenté par la charte des valeurs trois ans plus tôt, l’effet a été dévastateur. Sa campagne a aussi été marquée par sa promesse de ne pas tenir de référendum dans un premier mandat, prendre le pouvoir à tout prix, tel a été le sens de sa victoire.

Au chapitre du bilan historique, il met de côté le bilan du déficit zéro, affirmant que la période des gouvernements Bouchard et Landry ont été les plus fastes en termes de programmes sociaux. L’énormité de ce contournement est en soi révélateur du sens que donne Lisée à son livre. Les coupures dans la santé et l’éducation sous le gouvernement Bouchard dont Landry était vice-premier ministre et ministre des finances, avec la mise à la retraite de 4200 infirmières, avait entraîné une pénurie qui ébranle encore le système de santé. À l’aube des élections de 2003 où son gouvernement allait être défait aux mains du Parti libéral, Bernard Landry affirmait : « Le choix du déficit zéro a sauvé la santé. Depuis quand la banqueroute est bonne pour les affaires ? […] C’est parce qu’on a réglé le problème de la dette qu’on a pu faire des choses remarquables en santé ».

Il défend ensuite le bilan du gouvernement Marois et se félicite d’avoir aboli les hausses de frais de scolarité libérales mais omet complètement de mentionner le contexte de mobilisation historique que le Québec a vécu en 2012 avec la mobilisation des carrés rouges, c’était un passage obligé pour le nouveau gouvernement du PQ. Après 10 ans de coupures néolibérales il avait gagné par moins de 1% de majorité sur les Libéraux. La moindre des choses était de s’appuyer sur le mouvement qui lui avait permis de prendre le pouvoir, mais ce n’est pas ce qu’il a fait. Au lieu de reprendre les revendications du mouvement, le PQ s’est contenté du minimum en annulant la hausse libérale et en maintenant l’indexation des frais de scolarité. Le premier budget Marceau prévoyait aussi le retour au déficit zéro et des baisses d’investissements dans les services publics. Dans la présentation de son budget en 2014 le PQ prévoyait même retirer des déductions d’impôt dans la fiscalité des prêts étudiants.

Les compressions budgétaires se sont poursuivies dans le budget 2014 avec une prévision de l’augmentation des dépenses de l’appareil de l’État de 2% par année alors que par le passé la hausse moyenne dépassait les 4 pour cent. Quant aux secteurs ciblés par ces coupures, dans chacun des cas ce sont comme d’habitude les consommateurs, les services publics et les employéEs qui y travaillent. Rien en ce qui regarde l’augmentation des revenus, comme l’augmentation des redevances minières, les modifications au taux d’imposition, la lutte à l’évasion fiscale.

Lisée défend la politique d’extraction des hydrocarbures parce que liée au projet indépendantiste, afin d’assurer la viabilité économique du Québec, politique avec laquelle il dit aujourd’hui avoir rompu.

En ce qui concerne la charte des valeurs, il affirme qu’elle n’a jamais été présentée comme un enjeu. « On peut accuser la campagne de 2014 de beaucoup de maux, mais certainement pas d’avoir joué la carte de la laïcité. » Nous y reviendrons plus loin.

Les premiers jalons de son offensive contre QS, les quatre élections partielles en décembre 2016

Lisée devait faire ses preuves et démontrer qu’il pouvait déloger les Libéraux en 2018. La circonscription de Verdun représentait le seul endroit sur les quatre élections partielles où le PQ devait faire un gain stratégique afin de démontrer sa force devant les libéraux. Arthabaska était pratiquement acquise à la CAQ, St-Jérome était l’ancien comté de Péladeau qu’il jugeait acquis et Marie-Victorin était considéré comme un de ses bastions. Donc pas de preuves à y faire contre les libéraux.

Mais l’association péquiste de Verdun était en mauvais état selon ce que rapportait l’édition du Devoir du 12 octobre et la dernière chose dont Lisée avait besoin, c’est d’une déconfiture dans un bastion libéral. Il n’avait surtout pas besoin non plus d’une hausse du vote solidaire.

Les sondages indiquaient que sans alliance, le PQ bénéficiait de 22,3% des appuis, en baisse par rapport aux 24,4% au dernier scrutin. QS recevait par contre 13,9% des intentions de vote, en hausse par rapport au résultat de 9,7% deux ans et demi auparavant. Les véritables enjeux se situaient là. Lisée devait trouver une porte de sortie tout en neutralisant QS, sinon il perdait la face.

Une baisse du vote péquiste dans Verdun doublée d’une hausse du vote de QS enverrait un message de faiblesse pour ce nouveau chef qui avait maintenant choisi de mettre la souveraineté de côté pour gagner les élections. Une partie de la base péquiste avait de la difficulté à accepter cette stratégie comme on le voyait d’ailleurs dans Verdun, mais elle s’y rallierait à condition que ce soit une option gagnante. Lisée avait une obligation de rendre la marchandise, mais dans Verdun il n’avait aucune chance.

Par ailleurs le pronostic de Too close to call effectué par Bryan Breguet évaluait les chances d’une coalition QS PQ à 35% par rapport à un PLQ situé à 46%. Ce calcul était effectué en tenant compte du fait que tous les votes ne sont pas transférés d’un parti à l’autre, que plusieurs ne voteraient pas et que les votes de la CAQ pourraient aussi être redistribués, en partie aux libéraux. Et ça Lisée le savait aussi.

Toute cette opération de coalition progressiste ne visait donc qu’à rendre QS responsable de cette défaite annoncée. Son choix de la circonscription de Verdun comme terrain d’essai d’une coalition n’était donc pas anodin. Sinon pourquoi n’avait-il pas ouvert son offre aux trois autres circonscriptions.

Mais Lisée avait établi une autre stratégie, celle de mettre de la pression sur QS afin de déstabiliser sa base. C’est le sens de ses actions. En outrepassant la direction de QS, en s’adressant directement à son électorat par la voie des médias, en faisant circuler une pétition visant particulièrement QS afin qu’il retire sa candidate déjà en campagne au profit d’une candidature commune et en demandant aux porte-paroles de prendre des décisions sans respect des instances démocratiques, il a déclenché une offensive qu’il considérait gagnante-gagnante.

Si QS refusait, il devenait responsable de la victoire des libéraux. En acceptant, il scellait de facto le pacte d’alliance pour les élections générales de 2018, se reléguant au rôle de chaloupe accroché au navire amiral.

La convergence

Lisée présente d’abord la convergence comme la solution pour battre les Libéraux. S’il donne beaucoup de place à la stratégie et aux discussions qui n’ont pas abouti, attaquant au passage le manque de démocratie de QS, il explique peu la réalité pratique de ce pacte électoral. Il minimise les différences politiques au point de nier l’impact rebutant de la charte des valeurs.

Il ne fait non plus aucun bilan de son parti et de l’espace politique créé par sa gestion néolibérale et son manque de démocratie. C’est pourtant cet espace qui a permis la naissance de QS. Du Parti de la démocratie socialiste, à l’UFP puis à la jonction avec Option Citoyenne, le chemin a été long et les débats nombreux avant d’en arriver à créer Québec solidaire en 2005. Plus d’une dizaine d’années de réflexion en fait. Ce n’est donc pas sur un coup de tête que des centaines de personnes se sont décidées à créer un nouveau parti politique à cette époque. C’est à partir du constat de cul de sac politique au Québec.

Poursuivant dans sa logique simpliste et culpabilisante, Lisée reproche à QS d’avoir visé principalement à ravir des comtés au PQ (p103). Dans les faits au moment où il prétend établir des pactes électoraux, le PQ est en avance sur QS dans les sondages dans la majorité des circonscriptions à l’exception de celles où QS a déjà des députéEs, Mercier, Ste-Marie-St-Jacques et Gouin. Il n’est pas question non plus pour lui de céder Hochelaga-Maisonneuve. Le seul potentiellement prenable aurait été Laurier-Dorion où le PQ n’a obtenu que 16% des voix en 2014.

Selon QC 125 de mai 2017, Québec solidaire, aurait eu à se confiner dans 70-80 des 125 comtés pour le bénéfice du PQ, en échange d’un coup de pouce dans une poignée de comtés que le PQ n’a aucun espoir réaliste de gagner de toute façon. Les membres du PQ n’auraient jamais accepté de céder des comtés où ils sont dominants à plus forte raison lorsque leurs leaders claironnent à qui veut l’entendre que QS est un parti qui enlève des votes au PQ. Lisée affirmait d’ailleurs que QS avait fait perdre entre 12 et 15 circonscriptions au PQ en 2012 et avait empêché son gouvernement d’être majoritaire.

On peut appeler ça parler des deux côtés de la bouche, même s’il y a un côté qui résonne plus fort. Il affirme ainsi que la création, l’existence puis le succès de QS est un don du ciel pour le Conseil du patronat, l’Institut économique de Montréal et les partis qui ne croient pas à la distribution des richesses, à la crise climatique, au pouvoir citoyen et à l’indépendance. Rien de moins ! Bref, ajoute-t-il, QS offre aux partis de droite le marchepied que les petits partis de gauche français ont offert au héros des privatisations Jacques Chirac.

Paradoxalement, lorsqu’il était ministre responsable des affaires internationales, c’est lui qui en 2013 avait appuyé le traité de libre-échange Canada-Europe, traité qui soumettait les producteurs agricoles et les travailleurs québécois aux dictats des grandes corporations. Outre le secret dans lequel se déroulaient les négociations, leurs opposants dont les syndicats et les mouvements sociaux membres du Réseau québécois sur l’intégration continentale, craignaient que le droit des investisseurs à poursuivre les États ne prive les gouvernements d’une part de leur souveraineté en matière d’environnement et de développement économique, et ne les pousse même à privatiser des services publics. Ce traité favorisait en plus l’exportation du bœuf de l’ouest au détriment de la production du fromage québécois face aux importations Européennes. (1)

La marche forcée de la feuille de route

Pour Lisée, tout est une question de momentum et de stratégie. Le piège qu’il avait tendu à QS dans Verdun lors des élections partielles n’était que le premier acte de cette grande pièce théâtrale. Dès lors, tout a été mis en œuvre afin de compléter le scénario avant le congrès de QS de mai 2017. Il fallait mettre toute la pression afin d’obliger les membres en congrès à se compromettre en faveur d’une alliance avec le PQ. Par la suite, que le pacte électoral se concrétise ou non, et fort certainement pas puisqu’il n’y avait pratiquement aucune circonscription où le PQ aurait cédé le pas, le sort de QS en aurait été jeté. À noter que le congrès du PQ se tenait quatre mois plus tard en septembre 2017. Lisée agissait donc à l’abri de la pression, lui laissant tout le temps de laisser les conséquences de cette politique faire son œuvre et de reprendre l’initiative.

Tous ceux et celles qui avaient mis leur espoir dans la construction de Québec solidaire comme alternative aux politiques néolibérales et tous ceux et celles qui s’opposaient aux politiques de nationalisme identitaire et leurs effets d’exclusion systémique auraient complètement déchanté. Au final, pour défaire les libéraux ne valait-il pas mieux voter PQ ? Une fois cette étape passée, le PQ pouvait aller sur le terrain où les votes comptaient réellement, celui de la CAQ.

La feuille de route du Oui Québec d’avril 2016, proposait à l’origine une phase I de juin 2016 à janvier 2017 qui portait sur l’élaboration d’une proposition conjointe d’accession à l’indépendance avec des propositions à faire adopter aux congrès prévus de chaque parti soit QS en Mai 2017, PQ possiblement en juin et ON à définir. Cette étape serait suivie d’une phase II à l’automne 2017 portant sur l’élaboration d’un consensus en vue d’assurer l’élection d’une majorité d’indépendantistes.

La démission de Péladeau en mai de la même année a modifié la situation. Les Oui Québec avaient ainsi informé QS que : « conscients des changements d’orientation que cela pouvait entrainer, nous avons pris la décision de suspendre temporairement nos travaux et ce, jusqu’à l’élection du nouveau chef du Parti québécois, de façon à pouvoir nous assurer que ce changement de direction permettrait toujours des perspectives réelles de travail. »

Jean-François Lisée a été élu chef du PQ le 7 octobre 2016 et le congrès du PQ a eu lieu un an plus tard le 8 septembre 2017.

En octobre 2016, les Oui Québec informaient la direction de QS que : « Pour ce qui est de la deuxième phase de nos travaux visant à dégager un consensus autour de la question « comment faire élire une majorité de député-e-s indépendantistes à l’Assemblée nationale lors de l’élection de 2018 ? », force est de constater qu’avec l’élection de Jean-François Lisée à la tête du Parti québécois, cette question ne se pose plus avec la même urgence.

Par conséquent, tel que soutenu lors de nos derniers échanges, nous vous proposons formellement de retirer cette « deuxième phase » pour nous concentrer entièrement sur la recherche d’un mode d’accession commun à l’indépendance et ainsi éviter toute confusion sur la nature de nos travaux. »

Ainsi, même les Oui Québec étaient forcés de constater de façon pragmatique que l’indépendance n’était plus à l’ordre du jour pour le PQ et par conséquent ils ne pouvaient plus maintenir la perspective d’élection de députés indépendantistes pour 2018. Les discussions ne pouvaient donc porter que sur un mode d’accession à l’indépendance, dans un avenir relativement lointain si on considérait l’agenda de Lisée. Alors quel était donc l’urgence, de ce point de vue, de conclure si rapidement une discussion si hypothétique à laquelle Lisée ne donnait pas priorité ?

Cette discussion sur la feuille de route à laquelle on a donné tant d’importance n’avait donc pour Lisée qu’un but stratégique. On était à des années lumières d’une quelconque intention de débat sur l’avenir du Québec. (voir p 204)

Mais en substance, la démarche de la feuille de route était déjà cousue de fil blanc. L’objectif d’origine qui consistait à faire élire une majorité d’indépendantistes ne pouvait se conclure que par un appui au PQ dans la grande majorité des cas. Poursuivre malgré tout les discussions sur l’accès à l’indépendance, qui n’était plus à l’agenda du PQ, ne pouvait avoir comme objectif que de continuer cette stratégie de compromette QS à la veille de la campagne électorale.

Le PQ a d’ailleurs sorti son artillerie lourde à la veille du congrès de QS, allant contre tous les principes de respect et de démocratie. L’exécutif du PQ a d’abord publié une lettre ouverte s’adressant aux congressistes de QS, les incitant à accepter le principe d’alliances. Lisée est allé plus loin et a lancé un ultimatum : « Si Québec solidaire ne dit pas oui à des pourparlers sur la convergence dans deux semaines, le Parti québécois passera à autre chose, il n’acceptera pas que QS reporte sa décision à l’automne ou à tout autre moment. »

Au lendemain du congrès il accusait QS d’être dirigé par un « Politburo », un « groupe obscur de radicaux » qui est « nuisible au changement social et politique et au mouvement indépendantiste ». Quelques jours auparavant, il tenait pourtant à des alliances avec ce parti.

Des alliances, avec qui, pourquoi, comment ?

Des alliances entre partis nécessitent d’abord une convergence politique, ensuite un comportement démocratique qui respecte l’autonomie et le fonctionnement de chacune des organisations.

Lisée demandait à la population du Québec de l’appuyer pour faire du Québec un pays, un jour mais pas maintenant. Il faut d’abord gagner l’élection et ne pas trop en parler en période électorale. Depuis fort longtemps, le PQ est en panne de stratégie d’accès à la souveraineté, passant de la gouvernance souverainiste à l’établissement préalable de conditions gagnantes afin de gagner un référendum. 2014 avait marqué un point tournant, misant tout sur la politique identitaire afin de gagner l’élection.

Le but premier était de rassembler l’électorat blanc francophone afin de gagner l’élection. En faisant une campagne d’exclusion et en fracturant ainsi le Québec dans une offensive qui visait les populations ethnoculturelles et particulièrement la population musulmane, le PQ rendait impossible de gagner un référendum pour des années à venir. On peut gagner une élection avec 35% ou 40% des voies, on ne peut gagner un référendum avec une si faible majorité.

Même s’il a prétendu avoir reconsidéré sa position, Lisée en avait rajouté lors de la partielle dans St-Henri-Ste-Anne en novembre 2015. Il s’inquiétait qu’il y ait « pleins de hijabs partout » et déplorait les « signes religieux autour » des enfants. Il terminait en scandant « en avez-vous assez, ça suffit », en insistant sur chaque syllabe. (2)

Il avait également alarmé la population en affirmant que la burqua cacherait potentiellement un AK-47. Il avait également fait un croc en jambe disgracieux envers son collègue Alexandre Cloutier lors de la course à la chefferie en l’accusant d’avoir l’appui d’Adil Charkaoui.

Le PQ avait adopté consciemment une politique odieuse d’exclusion ethnoculturelle afin de gagner une élection, comment pouvait-on en plus faire confiance à son chef qui ne respectait aucune règle d’éthique, même envers ses propres collègues.

Lisée nous révèle enfin que le PQ a fait le compromis d’accepter (p204) le principe d’une constituante, en échange du fait que QS renonce à ce qu’elle soit au suffrage universel, ce qui signifie qu’elle pourrait être nommée par l’assemblée nationale. Cela modifiait totalement le processus indépendant et démocratique de cette assemblée citoyenne et la vidait de son sens, adopté par les membres de QS en congrès. Il est tout de même sidérant de constater à quel point Lisée pouvait jouer avec les positions politiques, d’autant plus que publiquement, le PQ affichait sa complète adhésion à une assemblée constituante.

Que faut-il retenir ?

Des discussions lourdes de conséquences donc, particulièrement pour un parti comme QS qui est basé sur la démocratie des décisions collectives et la participation de ses membres. Des discussions qui en plus ont eu lieu dans un climat de pression où Lisée tenait dans l’autre main son arsenal de déclarations publiques, pourfendant QS lorsqu’il n’adoptait pas sa position et pour dire clairement lorsqu’il ne tombait pas dans son piège. C’est l’attitude qu’il avait adoptée dès les élections partielles dans Verdun, qu’il a poursuivi avant le congrès de QS au printemps 2017 et qu’il a exacerbé après en accusant QS d’être dirigé par un Politbureau.

Son livre constitue la représentation matérielle de cette tragicomédie. On ne peut cependant dresser le bilan du livre de Lisée que d’un point de vue de stratégie de pouvoir, sans conclure que le Parti Québécois et Jean-François Lisée défendent une orientation politique fondamentalement différente de celle de QS. Dans sa conclusion, Lisée explique que QS est structurellement incapable de prendre le pouvoir, car inapte à coaliser avec lui des électeurs de centre et de centre droit. Il affirme ainsi de façon colorée que QS vit au pays des Licornes : « Mais QS a eu le don de faire des promesses irréalistes et…politiquement inefficaces. Sa décision de miser sur la gratuité, de l’éducation du CPE au doctorat, des soins dentaires et de réduire de moitié les coûts de transport en commun était facile à comprendre et facile à aimer. Sa position jusqu’au-boutiste et inapplicable en environnement lui a permis de faire dire aux médias que c’était son sujet. Tout cela serait financé en faisant payer les riches et les compagnies mais le parti a eu l’audace d’affirmer qu’il baisserait les impôts des citoyens des classes moyennes et modestes. On était toujours au pays des licornes, mais des licornes habiles. » (p104)

Sa position n’étonne personne. En effet le PQ avait sous le gouvernement Marois signé secrètement une entente pour l’exploitation pétrolière à l’Île d’Anticosti, ne s’était pas opposé lors des audiences du BAPE au passage du pétrole albertain en sol québécois et avait ouvert la voie à l’exploitation pétrolière dans le Golfe du St-Laurent. Le gouvernement de monsieur Lisée avait également repris le concept du déficit zéro de Lucien Bouchard lors du premier budget de Nicolas Marceau.

“Qui veut la peau du Parti québécois” est une diatribe qui n’apporte rien à la compréhension de la descente continue du PQ depuis les vingt dernières années et ne propose que peu d’analyse de la conjoncture politique, se limitant à quelques pronostics quant à l’avenir des partis politiques.

Pour un homme qui a occupé une fonction aussi importante que ministre des Relations internationales de la Francophonie et du Commerce extérieur, on se serait normalement attendu à une certaine hauteur et à une analyse-bilan servant à dégager des perspectives politiques pour l’avenir de la société québécoise dans le contexte international actuel. Mais un tel récit aurait été sans nul doute à contre sens de son œuvre.

Notes

(1) (Lisée vante le libre-échange Canada-Europe Malgré le « sain scepticisme » des Québécois à l’égard de ces accords, le ministre assure que cette entente est dans leur intérêt Le Devoir 12 février 2013 |Éric Desrosiers | Actualités économiques)