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  • Dernière modification de la publication :23 septembre 2019
  • Post category:Face à l’État canadien
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L’Université populaire des Nouveaux Cahiers du socialisme, après s’être tenue, en 2016, dans le cadre du Forum social mondial, a repris ses travaux en août 2017 à l’UQAM avec plus de 150 participantes et participants. Les débats ont été organisés autour de deux grands thèmes : d’une part, un « procès » de l’État canadien dont l’histoire et la réalité contemporaines restent marquées par le capitalisme, le patriarcat et le colonialisme, et d’autre part, une discussion sur la révolution numérique, en particulier sur ses impacts sociaux, politiques et économiques. Nous présentons ici un aperçu de cette riche réflexion.

Avec Mathieu Perron-Dufour, Audrey Laurin-Lamothe et Ariane Gobeil [1]

Le 150e anniversaire de la Confédération canadienne a été l’occasion pour nos élites de rabâcher le récit libéral vantant ce « beau et grand pays », prétendument caractérisé par un esprit de tolérance et d’ouverture. Loin de ces âneries, une autre histoire du Canada se dessine lorsqu’on s’intéresse à l’économie politique. Le Canada perd du coup ses habits de « plus beau pays au monde » pour retrouver, plus légitimement, ceux d’un État qui s’est construit selon les intérêts de sa classe dominante.

Le Canada : une histoire de marchands

L’histoire du Canada est d’abord celle d’une succession d’empires visant le contrôle des ressources qu’offre le territoire. De la fourrure au bois, en passant par le blé ou les minerais, l’économie canadienne s’est construite pour satisfaire les besoins en ressources de puissances étrangères (France, Royaume-Uni, États-Unis) autour d’une classe dominante composée essentiellement de marchands et de financiers. Ceci explique pourquoi on y trouve une classe dominante si attachée au libre-échange : elle n’a jamais voulu miser sur le développement des capacités industrielles canadiennes afin que celles-ci contribuent au développement du marché national, mais a préféré plutôt les placer au service du marché mondial. Selon cette interprétation, la Confédération serait le fruit d’une négociation commerciale. Les ports du Haut et du Bas-Canada étant fermés six mois par année, les élites marchandes voulaient avoir à leur disposition un port libre de glace pour expédier leurs marchandises. C’est de cette nécessité qu’est né le projet de joindre la Nouvelle-Écosse à l’ensemble canadien pour bénéficier des avantages du port de Halifax.

Les incidences de la financiarisation

L’histoire du Canada peut donc être comprise comme celle d’un territoire soumis à des impératifs économiques se situant à mille lieues de l’intérêt des gens et des peuples y habitant. Cette dynamique, si l’on excepte quelques tentatives d’un développement centré sur le marché canadien insufflé par les politiques du gouvernement Trudeau dans les années 1970, n’a jamais véritablement fléchi. Avec la financiarisation, cette dépossession tend même à s’accélérer. Si les impératifs de satisfaction du marché extérieur demeurent, ceux-ci sont désormais soumis aux mécanismes voulant que seule la valorisation actionnariale puisse être retenue comme critère d’évaluation d’une firme. Une conséquence de la financiarisation est d’amener les entreprises à se recentrer sur une seule activité afin de simplifier le jugement financier porté sur leurs affaires. Le développement d’une entreprise qui travaille à diversifier ses activités pour pérenniser son développement devient ainsi chose du passé. Pour permettre aux gestionnaires de portefeuilles de limiter leur prise de risques, c’est tout le développement économique qui se réduit à n’être évalué que selon la valeur des actions.

La spéculation sur les terres

Cette tendance à la financiarisation favorise l’essor de pratiques spéculatives dans le domaine agricole, un phénomène en expansion avec l’implication de grands groupes comme Pangea, Investerre, ou la Banque Nationale. Le tout prend place dans un contexte d’accaparement, soit l’acquisition des terres agricoles par des investisseurs étrangers ou par des gestionnaires de portefeuilles. Cette situation pousse à la hausse le prix des terres, favorise leur concentration et transforme les agriculteurs en locataires ou en simples salarié-e-s. Depuis 1867, le Canada s’est construit autour des intérêts de sa classe dominante composée de marchands et de banquiers. Cette logique a conduit à la Confédération et c’est toujours elle qui explique la réalité de ce pays ainsi que ses contradictions.

Synthèse par Philippe Hurteau, Nouveaux Cahiers du socialisme, No. 19 – Hiver 2018

Notes

  1. Mathieu Perron-Dufour est économiste, enseigne à l’Université du Québec en Outaouais et est chercheur à l’IRIS. Audrey Laurin-Lamothe est chercheuse associée à l’IRIS. Ariane Gobeil est doctorante à l’Université du Québec à Chicoutimi. Philippe Hurteau est chercheur à l’IRIS.